Mercure françois

facsimile numérique

Présentation

En permettant la consultation libre et gratuite du Mercure François, le Grihl accomplit une tâche importante de publication d’une source fondamentale pour l’histoire du XVIIe siècle. Le Mercure François est présent dans la plupart des grandes bibliothèques possédant un fonds ancien, mais il y est d’un usage difficile. Sa reproduction – et parfois même sa communication – se heurte en effet à des contraintes de conservation, en particulier des reliures, qui la rendent impossible (c’est le cas à la BNF).

Notre mise en ligne est le fruit d’une collaboration fructueuse et d’un travail considérable conduit sous la responsabilité de Cécile Soudan, Ingénieur d’études du CNRS au Centre de Recherches Historiques (UMR 8558, CNRS/EHESS). La Bibliothèque de l’Ecole Nationale des Ponts et Chaussées a bien voulu permettre la reproduction photographique de la collection qu’elle possède et passer pour cela une convention de numérisation avec le CNRS et l’EHESS. Plusieurs mois de travail ont ensuite été nécessaires pour réaliser environ 30000 clichés, les trier et les préparer pour l’édition numérique.

L’histoire éditoriale du Mercure n’est encore que partiellement établie. D’abord édité à partir de 1611 par les Richer, Jean et Estienne, père et fils, ou frères, on ne sait trop, qui tiennent boutique au Palais à l’enseigne de l’arbre verdoyant, il tombe dans l’escarcelle de Théophraste Renaudot en 1638. Celui-ci, peu soucieux de favoriser une concurrence avec la Gazette, fait traîner la parution, en principe annuelle, à tel point que le volume relatant les faits de l’année 1637 ne sort qu’en 1646, alors qu’une dernière impression est faite en 1648 pour les années 1643-1644. Des 25 volumes parus, nous en donnons ici 24, le dernier, au titre d’ailleurs étrange (Tome premier de l’histoire de notre temps… ou tome vingt-cinquième du Mercure François) ne faisant pas partie de la collection de la Bibliothèque de l’Ecole Nationale des Ponts et Chaussées.

Le tome premier daté de 1611 se présente comme Le Mercure françois ou la Suitte de l’histoire de la paix commençant l’an 1605 pour suite au septenaire de P. Cayer, et finissant au sacre du très grand Roy de France et de Navarre Louis XIII : il s’autorise ainsi avec Palma Cayer, pourtant piètre chroniqueur, d’un prédécesseur dont il ne serait que la continuation. Il est bien possible que la pérennité de la parution n’ait pas d’abord été envisagée par l’imprimeur : le tome 2 porte lui-même comme titre La continuation du Mercure François. En réalité jusqu’en 1638 les Richer parvinrent à faire paraître grosso modo un volume par an. Charles Sorel dans sa Bibliothèque Françoise, dont la première édition date de 1665, résume l’histoire du Mercure qui, à ses yeux, n’a plus de véritable existence après le volume qui rapporte les événements de 1635 :

Ce Mercure François, qu’on ne fait plus, fut commencé pour l’année 1605 et il a esté continué jusques à un vingtième tome, qui est pour les années 1634 et 1635. Le tout d’une même méthode et de la main d’un imprimeur appelé Jean Richer qui estoit fort stylé à cette manière d’ouvrage et qui y employoit d’assez bonnes instructions pour les affaires de paix et de guerre. Depuis cela est fort changé. (2ème édition, 1667, p. 359)

Le mot « méthode » est à retenir. Cette méthode consistait à assembler diverses sortes de textes déjà parus : des déclarations royales et d’une manière plus générale des pièces officielles, des libelles, des récits d’abord publiés sous la forme « d’occasionnels ». Tous ces écrits préexistants peuvent entrer dans la vaste catégorie des « mémoires ». Le tome 4 porte d’ailleurs sur sa page de titre Quatriesme tome du Mercure François ou Les Mémoires de la suite de l’Histoire de notre Temps. Et, dans son avis au lecteur, l’imprimeur ajoute :

Je te donne icy les Mémoires pour la Suitte de l’Histoire de nostre temps, comme on les a publiés durant ces deux dernières guerres civiles. Tu trouveras que j’ai esté le plus soigneux que j’ay pu, d’y insérer tous les Manifestes, Déclarations, Lettres, Responses, Remonstrances, accusations, défenses et excuses des uns et des autres, afin que tu puisses juger droitement de ce qui s’est passé.

On aurait tort pourtant de ne voir dans le Mercure qu’une simple compilation d’imprimés politiques disparates parus dans l’année. Une telle compilation présenterait bien sûr un grand intérêt (là n’est pas la question), mais cette affirmation qu’il s’agirait de livrer aux lecteurs une simple collection de textes soigneusement et honnêtement établie dissimule la présence d’un ou plusieurs rédacteurs qui « montent » les écrits qu’ils éditent, insèrent de brefs commentaires ou transitions qui en orientent la lecture. On a affirmé qu’à partir de 1624 le Père Joseph avait fait fonction de « rédacteur en chef » du Mercure, mais il s’agit d’une simple conjecture, que les historiens répètent, sans qu’aucune preuve ne lui ait jamais été apportée. Il ne fait toutefois pas de doute que le pouvoir politique surveillait de près la préparation de chaque tome. Charles Sorel oppose une période où « la liberté d’écrire estoit grande, « et où il se faisoit plusieurs pièces curieuses dans l’année », à une autre où « ceux qui avoient la conduite des affaires mirent ordre très sagement qu’il ne s’imprimast plus de ces Libelles politiques quelquefois trop hardis », ce qui fait que « le Mercure n’eust plus rien à rapporter que des Narrations communes, de sorte que la curiosité de le voir ne fut plus guère grande » (p. 358).

On observe en réalité dans l’histoire du Mercure l’opposition entre un temps de troubles politiques, d’affrontements, d’incertitude (en gros 1610-1624) et les années où le cardinal de Richelieu a réussi à imposer son hégémonie politique. La seconde de ces deux périodes n’est pas, contrairement aux apparences, la moins intéressante. La citation des écrits de l’adversaire, leur léger gauchissement, les récits habilement montés à partir de plusieurs sources, le jeu sur le décalage temporel entre les événements et le récit qui les rapporte, permettent une entrée pratique à l’intérieur des dispositifs de pouvoir qui font du Mercure un outil politique de publication. Après Richelieu, cet outil ne semble plus remplir sa fonction. Ce n’est donc pas tant la disparition de libelles librement publiés qui transforme le Mercure François en objet de moindre intérêt pour la « curiosité » – on dirait aujourd’hui pour l’information – que le désinvestissement dont il est l’objet de la part du pouvoir politique et, probablement, le renoncement à une certaine politique active du discours public.

Chacun des volumes commence, en général, par un sommaire qui en présente le contenu et permet un déplacement plus ou moins rapide à l’intérieur de l’objet imprimé. En facilitant l’accès à ces sommaires, nous reproduisons, sur un support entièrement différent, le geste de classification, et le guidage dans une matière profuse, produit par les premiers éditeurs . Ce faisant, nous soulignons que la plongée dans les pages denses du Mercure, qui appartiennent à un univers de discursivité compacte très à distance de nos habitudes, nous conduit par un utile dépaysement à naviguer « dans la houle des mots qui cheminent ».

Christian Jouhaud